C’est le grand mal de notre âge. Nous allons droit dans le mur depuis longtemps, mais notre génération a le malheur de s’en rendre compte. Tous les voyants sont au rouge, niveau de gaz carbonique dans l’air, plastique dans les océans, perte de biodiversité dramatique.
Par ailleurs, collapsologues et autres écologistes ne nous parlent plus de transition écologique, comme dans les années 70, mais d’effondrement. Celui-ci serait plus ou moins inévitable, en tout cas selon eux.
Confrontés à ce portrait, assez sombre admettons-le, comment ne pas perdre le moral ? Comment ne pas déprimer face à notre impuissance ?
1— Réaliser qu’il y a deux effondrements possibles
On parle de « l’effondrement », mais en réalité deux grands types de scénarios sont possibles.
Le premier, c’est l’effondrement des écosystèmes. Comme l’expliquent très bien Pablo Servigne et Raphaël Stevens, la biodiversité est un système complexe, une toile d’interdépendances et de connexions1Servigne, P., & Stevens, R. (2015). Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes: Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. Le Seuil.. Lorsqu’un élèment est retiré de l’ensemble, celle-ci est peu déstabilisée car de nombreuses alternatives existent. Jusqu’au jour où trop d’éléments ont été ébranlés : tout s’effondre assez subitement. L’écosystème change radicalement d’équilibre2https://usbeketrica.com/article/ecosysteme-effondre-revenir-arriere. Schématiquement, c’est le passage d’une forêt tropicale au désert du Sahara. Une quantité astronomique de biodiversité est perdue. Cela a déjà eu lieu, à des échelles plus ou moins locales et dans des amplitudes plus ou moins fortes. A l’échelle globale, l’effondrement des écosystèmes signifierait la disparition d’une grande partie voir de l’ensemble des espèces vivantes sur Terre, y compris l’humain bien entendu.
Le deuxième effondrement possible, c’est celui de notre société, de notre civilisation. C’est le passage d’une société complexe, hautement spécialisée, hiérarchisée, vers une société simple, peu spécialisée et peu hiérarchisée. Schématiquement, c’est le passage d’une société Maya à des petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Elle peut s’accompagner, sans que cela soit nécessaire, d’une chute démographique. Ce scénario s’est répété de nombreuses fois dans le passé : en réalité, les sociétés complexes sont plus l’exception que la règle dans l’histoire humaine3Scott, J. C. (2019). Homo domesticus: une histoire profonde des premiers Etats. La Découverte.. Appliquée à notre situation, cela signifie probablement que nous utilisions (beaucoup) moins de technologies, des transports plus lents, et que les Etats disparaissent, au profit de sociétés plus simple et plus petites.
2— Réaliser qu’un est préférable à l’autre
N’y allons pas par quatre chemins : autant l’humain est capable de survivre dans une société effondrée, autant il ne peut survivre dans un écosystème effondré.
La majorité de l’histoire humaine s’est déroulée dans de petites communautés. Encore en 1600, seulement un tiers de la population mondiale vivait sous le joug d’un État4Scott, J. C. (2019). Homo domesticus: une histoire profonde des premiers Etats. La Découverte.. Le capitalisme existe depuis quelques centaines d’années, l’industrie depuis environ 200 ans. Si certains peuvent considérer tout ceci comme des conforts souhaitables (ce qui n’est pas mon cas5https://reporterre.net/L-effondrement-de-notre-civilisation-est-une-bonne-chose), on peut affirmer avec certitude que le retour à des communautés plus restreintes ne présente pas de risque existentiel pour l’espèce humaine.
À l’inverse, il n’y a eu que 5 extinctions de masse dans l’histoire de la terre. Aucune ne s’est déroulée pendant l’existence de l’espèce humaine. De la même manière, les épisodes de changement climatique aussi rapide n’ont jamais été connu dans l’histoire terrestre. Nous ne savons rien de ce à quoi ressemble un monde subissant de tels changements, mais il est probable que l’humain n’en fasse pas parti.
Pour résumer, des deux effondrements en présence, un est récurrent au cours de l’histoire humaine, l’autre est inédit. Un seul menace l’existence de l’espèce humaine. Un seul entraine la disparition de la plupart des espèces sur terre.
3— Réaliser qu’ils sont liés
Ce sont deux effondrements bien distincts donc, mais vous comprendrez que ces deux phénomènes sont interconnectés.
L’effondrement des écosystèmes à des niveaux plus ou moins locaux a souvent dans le passé engendré la fin de civilisations 6Diamond, J. M. (2006). Effondrement: comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Gallimard.. Les habitants de l’île de Pâques ou les Mayas en sont des emblèmes. De la même manière, il est évident que l’effondrement des écosystèmes à l’échelle mondiale mènera, à terme, à l’effondrement de notre civilisation ; mais potentiellement trop tard. Nous pouvons maintenir artificiellement en vie notre système, en utilisant des ressources fossiles par exemple, de telle sorte à ce qu’il survive quelque temps à la disparition de la totalité des écosystèmes (ou en tout cas, qu’il la rende inéluctable).
Parallèlement, on comprend rapidement comment la poursuite de notre civilisation entraine la destruction progressive de la nature. A l’inverse, la fin de notre civilisation entrainerait une récupération des écosystèmes. Il suffit de voir comment le coronavirus, en provoquant un arrêt partiel de notre économie, a fait chuter la pollution et a permis à la nature de récupérer de manière parfois assez surprenante 7https://www.lepoint.fr/environnement/coronavirus-en-thailande-une-espece-rare-de-tortue-s-epanouit-21-04-2020-2372206_1927.php
4— Réaliser que nous ne sommes pas impuissants.
Un effondrement aura lieu dans tous les cas. C’est bien vrai. La question est : lequel adviendra le premier ? Celui de la nature ou celui de la société qui la détruit ?
Souhaitons-nous rester en observateur passif de cette course morbide ?
On nous présente comme impuissants face aux phénomènes auxquels nous faisons face. Est-ce vraiment le cas ? Oui, nous sommes impuissants quand nous tentons de sauver à la fois un modèle économique et sociétal en même temps que la vie sur terre. Mais dès que le seul objectif est de provoquer la fin de notre système économique avant la fin de nos écosystèmes, n’avons-nous pas des pistes d’action ?
Notre système économique est pensé pour être efficace, pas pour résister aux chocs. Provoquons ces chocs. Quelles sont les infrastructures dont dépend le plus notre vie économique ? Le transport du pétrole, l’électricité, l’extraction de matière première, etc.
Une seule maladie des arbres à caoutchouc provoquerait l’arrêt brutal de l’extractivisme et de l’usage des avions. La chute du réseau électrique mettrait à genoux l’économie mondiale. Nous ne sommes pas impuissants, nous devons juste donner un coup de main à un système au bord du précipice •