Cet article fait partie de la série “Pour la fin des énergies fossiles”, composé des articles suivant :
1. Pourquoi il est vraiment urgent d’agir
2. Les fausses solutions.
3. Arrêter de perdre nos luttes : De la la guerre d’usure à l’échec en cascade
Les conséquences de la société thermo-industrielle sont déjà terribles, pour les humains comme pour les non-humains, et elles empirent. Nous le savons depuis longtemps. Pourtant rien ne change. Notre société a eu des décennies pour se sortir volontairement de son addiction aux énergies fossiles, depuis des décennies les dangers sont connus, mais elle est trop dépendante pour y renoncer.
Depuis 1990, la consommation globale de combustibles fossiles n’a diminué qu’une seule année. En 2009. Non pas de plein gré, mais comme résultat de la récession mondiale. À moins d’être contrainte, l’économie brûle de plus en plus de pétrole chaque année.
Nombreuses solutions indirectes, galvaudées, ont montré leur inefficacité : transformation volontaire de masse, action gouvernementale, technologie verte, efficacité énergétique. Une fois qu’on les abandonne, cela libère les possibles. Une fois que l’on comprend que notre seul objectif, en tant qu’écologiste, est d’arrêter la civilisation, de faciliter son effondrement avant celui de nos écosystème, notre réflexion doit porter sur les méthodes les plus efficaces pour atteindre cet objectif.
L’échec de la guerre d’usure
La stratégie d’usure : une lutte lente et prolongée
Le mouvement écologiste poursuit une stratégie de guerre d’usure. Qu’est ce qu’une guerre d’usure ? C’est une lutte lente et prolongée, qui vise à affaiblir l’ennemi jusqu’à ce qu’il s’effondre lui-même.
Dans notre contexte, cela se traduit par une réaction défensive aux attaques du système industriel : nous nous opposons à un projet destructeur à la fois. Cette stratégie échoue. Nos victoires occasionnelles — comme Notre Dame des Landes ou Sivens — n’affaiblissent pas réellement les institutions qui développent l’industrialisme ; au mieux, nous ne faisons que ralentir la vitesse à laquelle il se renforce. Pour les remporter, nous mobilisons la quasi-totalité de nos forces si bien que des dizaines de projets similaires se construisent parallèlement et ne rencontrent peu ou pas d’opposition.
Sur le plan tactique également, nous comptons sur l’usure : nous intentons des procès, boycottons des entreprises, bloquons les infrastructures et nous accrochons nos corps aux machines de construction. En d’autres termes, nous essayons d’augmenter les coûts des projets, afin de les rendre non rentables. Mais encore une fois, nos ressources sont bien faibles face à celles de nos adversaires. L’État ou les multinationales peuvent facilement octroyer des fonds de plusieurs milliards d’euros pour surmonter ces obstacles, sans compter du fait que les firmes et les gouvernements peuvent prédire nos tactiques et donc les contourner.
Une stratégie vouée à l’échec
Pour commencer à gagner notre guerre d’usure, nous aurions besoin non seulement de bloquer toute expansion industrielle, ce que nous sommes loin de réussir ; mais nous devrions également forcer la fermeture des infrastructures existantes : pipelines, centrales électriques et champs de pétrole. En réalité, même si nous y parvenions, hypothèse fort optimiste, notre stratégie resterait un échec.
En effet, la guerre d’usure ne fonctionne que si l’on vainc l’adversaire tout en limitant ses propres pertes. Elles doivent se maintenir à des niveaux acceptables sur de longues périodes, puisqu’il faut que l’usure de l’adversaire soit plus rapide que la nôtre. Mais il n’y a rien d’acceptable dans l’augmentation actuelle d’émissions de CO2, ou dans la diminution de la biodiversité. La catastrophe est imminente. Même si nous avions les ressources pour mener une guerre d’usure, ce qui n’est pas le cas, nous n’avons certainement pas le temps.
La guerre d’usure est une stratégie absurde dans notre position. Nous n’avons ni les ressources pour faire face à notre adversaire ni le temps pour l’essouffler sur la durée. Notre situation est la définition même de la lutte asymétrique : deux parties opposées aux moyens fortement inégaux. En tant qu’individus comme en tant que mouvement, nous devons voir au-delà d’une guerre d’usure fragmentée.
Vers une stratégie d’échec en cascade
La guerre contre la planète, contre la majorité des êtres humains et contre les générations futures repose sur les combustibles fossiles. Pour aller au-delà d’une stratégie d’usure, nous devons penser en matière de systèmes, de flux, de nœuds et surtout de goulots d’étranglement. Nous devons comprendre comment le pétrole, le charbon et le gaz sont extraits, transportés, transformés, distribués et brûlés. Nous devons comprendre à quel endroit le système est faible et à quels endroits nous pouvons intervenir pour un impact maximum.
Concrètement, nous n’avons pas besoin de démanteler toutes les usines, de détruire tous les bulldozers, de démolir toutes les routes. Nous devons juste paralyser ce qui leur permet de fonctionner : leur infrastructure.
Les systèmes industriels supportent la perte d’une ou deux composantes sans subir de dégâts supplémentaires et résolvent rapidement les problèmes engendrés. Mais ces systèmes sont conçus pour l’efficience (produire beaucoup et vite), non pas la résilience (résister aux chocs). Lorsqu’un nombre suffisant de pièces critiques font défaut simultanément, les défaillances se répercutent dans le système, comme une série de dominos, et entraînent l’arrêt de plus en plus d’éléments. Les impacts augmentent de façon exponentielle, les perturbations les plus longues persistent. Dans les bonnes circonstances, un échec en cascade peut mener tout le système au point mort. Avec des actions répétées, il peut ne jamais redémarrer.
Pour une meilleure sélection des cibles
Contrairement à la situation actuelle, où les militant.es sélectionnent le projet à bloquer selon des considérations symboliques ou en fonction des dommages immédiats causés par celui-ci, la stratégie d’échec en cascade nécessite un choix précis des cibles.
Justement (!), les forces d’opérations spéciales des États-Unis ont mis au point la matrice CARVER pour une meilleure sélection des cibles :
Criticalité : Quelle est l’importance de l’élément pour le système ?
Accessibilité : Est-il facile d’atteindre l’élément ?
Recupérabilité : À quel point le système peut-il reprendre rapidement et facilement ses fonctionnalités après avoir endommagé l’élément ?
Vulnérabilité : Est-il facile d’endommager l’élément avec les tactiques et armes disponibles ?
Effet : Quels sont les effets secondaires indésirables pouvant être entraînés ?
Reconnaissabilité : Est-il facile d’identifier la cible dans des conditions défavorables, telles qu’une nuit sombre et pluvieuse ?
La plupart des militant.es écologistes, légaux comme illégaux, ont jusqu’à présent choisi des cibles accessibles et vulnérables. Mais elles ne sont ni critiques ni difficiles à remplacer. Des militant.es, soucieux d’être efficaces, devraient penser selon les critères de la matrice CARVER dans le but de déclencher un échec en cascade. Ainsi ils comprendraient qu’il est préférable de s’attaquer au réseau électrique qu’à un nouveau grand projet inutile. Ils comprendraient que certains points faibles ne sont pas nécessairement où on le croit. Enfin, ils comprendraient qu’il est possible de changer le cours de l’histoire.
[…] Des attaques menées dans l’ombre par de petits groupes sur des infrastructures clés ou les circuits qui les alimentent sont plus adaptées pour causer des dommages sérieux, voire critiques, au système, en touchant les points faibles de sa structure tout en évitant la répression policière démesurée pour ne pas subir des dommages sérieux en retour. […]
[…] En un mot, l’inefficacité. […]
Vous avez oublié quelque chose d’important dans votre analyse : la spécificité de l’attaque, ou encore les victimes collatérales. Mettre à bas le réseau électrique va faire sauter des hôpitaux et d’autres services critiques, emmerder des pauvres qui n’ont pas le choix que de survivre dans le système, etc.
Je ne dis pas qu’à cause de cela il ne faut pas suivre votre proposition, mais il faut a minima en analyser les conséquences (perte du soutien de la population, shaming etc) et être prêt à vivre avec…
Tout à fait, c’est d’ailleurs un des points que nous mettons en avant dans les critères de sélection de cible dans un autre article (qu’il faut que je retrouve). Comme vous dites, ça n’élimine pas l’action : c’est à pondérer avec les victimes “collatérales” de l’inaction.
“Il faudrait être fou, après tout ce temps, pour croire que les politiciens décideraient soudainement d’acter ce qui est pourtant nécessaire”… Jusqu’à preuve du contraire, les politiciens ne sont pas des aristocrates: ils sont élus sur des programmes. A nous de les lire et des les faire lire pour voter et faire voter correctement.