Pour une résistance socioécologiste radicale

by | Apr 4, 2020 | Actualités | 0 comments

Réaction à la tribune des résistants et résistantes climatique du 20 mars

Le 20 mars, une tribune est sortie dans le journal “Le monde”, rédigée par un important collectif de diverses personnalités, militantes écologistes, permacultrices, intellectuelles, scientifiques etc. qui s’est baptisé “Les résistants et résistantes climatiques”. Elle propose une stratégie sur le long terme qui permettrait, selon les auteurices, de stopper l’accélération du changement climatique et la destruction de la biodiversité pour préserver le vivant. On peut désormais la consulter en accès libre sur le site de Reporterre.

Ce texte est une réaction à cette tribune afin d’y apporter une critique constructive mais tout de même incisive. Le but étant de souligner des failles présentes dans la tribune et pousser à la réflexion pour amener d’éventuelles remises en question.

Le climat, une focalisation difficile à abandonner

Pour commencer, la tribune réduit son combat écologiste à l’accélération brutale du changement climatique, alors que la destruction de la biodiversité, des écosystèmes et l’extermination massive de la vie sauvage devraient aussi en faire partie. Par exemple : “Depuis deux ans, les mobilisations pour le climat se multiplient sans être écoutées.”, au lieu de parler de mobilisations écologistes incluant la question de la biodiversité et la vie sauvage. Il en est de même avec le titre de la tribune et le nom du collectif qui tournent autour de la “résistance climatique” plutôt que de la “résistance écologiste”, et de l’expression “victoire climatique”. L’objectif de réduire uniquement les émissions de gaz à effet de serre omniprésent avec la fameuse “neutralité carbone” et la stratégie proposée ensuite, – qui exclut complètement le fait de stopper les activités destructrices des sols, des écosystèmes, terrestres ou marins-, ne s’attaque pas aux véritables causes de la destruction du vivant.

Cette tendance à la focalisation sur le climat dans les classes aisées des pays occidentaux peut s’expliquer par le fait que la destruction des écosystèmes et l’effondrement de la biodiversité n’avaient pas d’impact direct dans leur vie, tandis que l’accélération brutale du changement climatique a provoqué des sécheresses et canicules qui les ont touchées directement.

Jusqu’à cette crise du Covid-19 qui est venue remettre la question de la destruction des habitats sauvages au premier plan : le braconnage d’animaux sauvages et la destruction de leurs habitats qui les condamnent à se rapprocher des sociétés du système industriel mondial pour survivre, créant ainsi la possibilité de contacts directs avec des êtres humains et la transmission de virus auxquels ces derniers n’avaient jamais été confrontés. Comme on peut lire dans cet article du monde diplomatique : « Depuis 1940, des centaines de microbes pathogènes sont apparus ou réapparus dans des régions où, parfois, ils n’avaient jamais été observés auparavant. C’est le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’Ebola en Afrique de l’Ouest, ou encore de Zika sur le continent américain. La majorité d’entre eux (60 %) sont d’origine animale. Certains proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart (plus des deux tiers) sont issus d’animaux sauvages. ». Le titre de cet article résume bien le problème, nous avons nous-mêmes déchaîné cette épidémie devenue rapidement pandémique.

Cette menace – la multiplication de nouvelles maladies pouvant rapidement devenir pandémiques actuellement avec la mondialisation – liée à la destruction des habitats d’animaux sauvages et des écosystèmes – comme développé dans cet article – affecte directement l’être humain. Elle n’est plus seulement visible par les pays marginalisés qui l’avaient déjà vécue, par exemple avec Ebola en Afrique, mais désormais aussi par les pays “développés”. Espérons que cette pandémie Covid-19 remette en question l’écologie mainstream. Les expressions « mobilisations climat », « militants climats », invisibilisent le combat contre l’effondrement de la biodiversité, la destruction des écosystèmes et l’extermination de masse en cours. L’obsession pour le changement climatique est un symptôme de l’anthropocentrisme dont souffrent nos sociétés.

La neutralité carbone comme objectif

Dans la continuité de la focalisation sur le climat, l’objectif présenté dans la tribune en découle : “Notre objectif : une neutralité carbone effective en 2050 via une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025”.

Premièrement, cet objectif unique de “neutralité carbone” réduit le problème aux émissions de gaz à effet de serre, et exclut les activités destructrices du vivant comme la déforestation, l’agriculture industrielle, l’étalement urbain, la surpêche … Comme le disait si bien Aurélien Barrau – qui fait partie des signataires de la tribune, mais a très bien conscience du problème de la focalisation sur le climat et le dénonce régulièrement – dans une intervention au forum “global positive planet” (à 0:49, mais toute l’intervention est pertinente) : “Avec un bulldozer qui fonctionne à l’énergie solaire, on peut raser la forêt amazonienne. On aura pas mis émis de CO² mais on aura quand même rasé la forêt”.

Deuxièmement, l’expression “neutralité carbone” – la deuxième revendication du mouvement Extinction Rebellion, dont les implications sont décryptées dans cet article – est employée pour signifier que tout le CO² émis par l’activité “neutre en carbone” serait “absorbé ou compensé”. Utilisée par les entreprises, cette expression légitime la “compensation carbone”, une stratégie de greenwashing qui leur permet de poursuivre la bétonisation des terres et la destruction des sols –une vidéo de Data gueule décrypte cette mascarade avec les banques de compensation -. Elle permet également de justifier des procédés de géo-ingénierie – encore une vidéo de Data gueule sur cette technique d’apprenti sorcier du climat – qui laissent croire à une “neutralité carbone” en absorbant les émissions de gaz à effet de serre des sociétés industrielles qui continueraient dans leur lancée mais soit disant sans polluer.

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La “compensation carbone”, une stratégie de greenwashing qui permet de poursuivre la bétonisation des terres et la destruction des sols

Ce concept fallacieux permet de ne surtout pas repenser les sociétés en profondeur pour qu’elles deviennent respectueuses de la biosphère, soutenables, résilientes écologiquement, et arrêtent leurs activités mortifères. Comme dit dans un article du blog floraisons, dans le passage sur la “compensation carbone” : “C’est la même logique capitaliste qui est toujours à l’œuvre, une façon de donner une valeur marchande à la biosphère, la considérer comme une ressource à disposition pour pouvoir mieux l’exploiter et la traiter comme un bien de consommation”.

Plutôt que de stopper les émissions massives, protéger et renouveler la biodiversité, développer la résilience et régénérer les écosystèmes, qui peuvent au passage absorber naturellement du carbone, sans pour autant que ce soit dans une logique de “compensation”. La technique des jardins-forêts – pour recréer des écosystèmes complexes avec des espèces comestibles, très fonctionnels, riches en biodiversité, et capables de créer des microclimats -, présente un très grand potentiel sur la résilience alimentaire, climatique, le retour de la biodiversité et le ralentissement du changement climatique, plutôt que de planter des monocultures d’arbres qui brûlent rapidement après avoir été plantés. Pour voir un exemple, un article sur le jardin-forêt de Fabrice Desjours débuté il y a 9 ans avec plus de 1000 espèces comestibles sur 2.5 hectares, et une vidéo où il présente le concept de jardin-forêt. Il y a aussi des alternatives dans la construction en utilisant le bois, la terre et la paille.

L’expression “neutralité carbone” est un mirage inventé pour perpétuer les sociétés industrialisées et capitalistes, faire croire qu’elles seront plus “vertes” et “zéro émission”, comme un label.

Une stratégie limitée, institutionnelle, réformiste et peu claire

La stratégie présentée se divise en 5 phases. La première concerne la sphère individuelle et tend vers le classisme sur certains points. En effet, parmi les actions proposées, certaines ne peuvent être mises en pratique par tout le monde : “redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2.000 km/an en voiture”. Comment faire, notamment dans les campagnes, lorsqu’il n’y a aucun “transport doux” permettant de se rendre sur le lieu de travail – seul moyen de survivre dans ce système mortifère ?

Ce genre d’injonction s’adresse en réalité aux personnes habitant des villes et exclut les populations rurales, c’est une des raisons pour laquelle les gilets jaunes ont exprimé leur légitime colère au moment de la taxe carbone. Chercher à forcer les populations à réduire leur impact dans une société qui ne leur laisse pas toujours le choix est une position classiste qui découle de privilèges que tout le monde n’a pas. En premier lieu, il serait plus judicieux d’agir pour donner la possibilité aux populations de ne plus avoir besoin de faire des kilomètres pour vivre. Pour cela, il faut cesser l’externalisation et relocaliser l’économie afin d’accéder à un maximum d’autonomie. Culpabiliser celles et ceux qui n’ont pas d’autres choix que de prendre leur voiture n’est pas une solution.

De même, l’injonction à “se nourrir d’aliments biologiques” est tout autant classiste. Les prix des aliments biologiques les rendent très souvent inaccessibles à des populations précarisées. D’autant que le labellisé “bio” n’exclut pas le labour qui ravage aussi les sols en y tuant toute vie et en les déstructurant profondément. Rappelons également que bénéficier du label bio coûte cher et ne garantit en rien une agriculture non destructrice puisqu’il est possible d’utiliser des techniques lourdes : labour, machines et grandes monocultures. De nombreuses fermes ne peuvent s’acheter le label et leurs produits sont pourtant bien plus respectueux que de nombreux produits labellisés. Insistons plutôt sur la production locale de nourriture avec peu ou pas d’intermédiaires, de préférence sur sol vivant, que sur le label “bio” qui ne garantit pas la préservation des sols, même s’il est toujours mieux que le conventionnel qui utilise des pesticides. Bref, deux injonctions tendant vers du classisme sous couvert de “solidarité” et “d’émancipation”.

Convaincre a ses limites, surtout avec des puissances mondiales baignant dans l’idéologie du progrès par la croissance économique, technologique et urbanisée

Quant à la 5ème phase, penser que “l’ensemble des outils de la diplomatie politique et économique devra être mis à contribution pour convaincre les gouvernements réfractaires” est illusoire. Les gouvernements n’accepteront jamais de remettre en question profondément les sociétés modernes au point de les rendre soutenables écologiquement et résilientes, aucun ne sait réellement comment le faire ni ne voudra le faire puisque ce serait une entrave au système actuel, et la plupart des principales puissances mondiales telles que les Etats-Unis, la Chine, la Russie sont loin des considérations écologiques. Convaincre a ses limites, surtout avec des puissances mondiales baignant dans l’idéologie du progrès par la croissance économique, technologique et urbanisée. Même la France, qui se targue d’être pionnière dans l’écologie, ne s’est pas gênée pour réprimer extrêmement violemment des personnes qui cherchaient à défendre des terres sur les ZAD face à des projets mégalomanes et destructeurs, à Notre-Dame-des-Landes,

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Au delà des manifestations
Bure ou l’Amassada. Sans parler de son modèle agricole industriel qui, comme toutes ses industries, exploite des humains et détruit le vivant.

Seules des microsociétés ayant une conception biocentrée du monde – centrée sur le vivant -, sobres économiquement et technologiquement peuvent être soutenables écologiquement, justes, résilientes et durables. Elles sont la seule alternative pour instaurer la justice sociale, basée sur une organisation politique démocratique et autogérée à une échelle raisonnable, et une organisation économique équitable, autonome localement. Pour ce faire, il est nécessaire de revenir à l’artisanalisme local, en utilisant des techniques simples, à la main, avec des ressources primaires (bois, terre, paille, pierres, matière animale) ou à l’aide d’outils faits à partir de ces ressources. Au contraire, l’industrialisme mondialisé nécessite des moyens très compliqués, énergivores – utilisant aussi l’énergie humaine par le travail forcé – et consommateurs de beaucoup de ressources venant en grande partie de loin. Leur extraction, transformation et distribution, impliquent des destructions écologiques et exploitations sociales, en plus de la pollution délocalisée dans d’autres pays. C’est la différence entre techniques “démocratiques” et “autoritaires” selon Lewis Mumford. Ce type de société existe toujours chez des peuples autochtones, malgré la persécution de la civilisation qui détruit leurs cultures pourtant source d’inspiration pour ne plus alimenter le désastre socioécologique en cours qu’elle entraîne.

Mais pour expérimenter certaines de ces alternatives, il faut des terres, d’où la nécessité d’en récupérer, par le dialogue avec les pouvoirs publics quand c’est possible, ou par la force avec les ZAD qui les protègent.

D’ailleurs, à aucun moment le soutien aux ZAD ou l’action directe de sabotage ne sont citées comme tactiques dans la “stratégie de résistance climatique”, alors que face au désastre en cours et la mégamachine qui détruit le vivant, donc les humains avec, il est nécessaire de mettre en avant la légitimité et l’intérêt de ces tactiques offensives pour entraver ce système mortifère. La partie “Actions et Tactiques” du 4ème podcast de floraisons sur les notes de lecture des livres Full Spectrum Resistance propose des réflexions très intéressantes et profondes sur la question des tactiques utilisables par un mouvement de résistance. De nombreuses autres réflexions sont également menées dans la première partie des notes de lecture – “Se battre et gagner” – sur la culture de résistance, l’impasse d’une réforme du système et d’une volonté de n’utiliser que la persuasion morale, la nécessité d’utiliser une diversité de tactiques dans un mouvement de résistance. La “stratégie de résistance climatique” poursuit une logique réformiste et négociatrice avec le système, alors qu’il ne s’arrêtera pas sans y être forcé, elle ne souligne à aucun moment la nécessité d’attaquer sa structure.

La “stratégie de résistance climatique” poursuit une logique réformiste et négociatrice avec le système, alors qu’il ne s’arrêtera pas sans y être forcé, elle ne souligne à aucun moment la nécessité d’attaquer sa structure

Enfin, la critique de la civilisation – l’entassement dans les villes bétonnées au détriment des zones sauvages, intensifié avec la métropolisation dont le rôle dans la pandémie actuelle est souligné par Guillaume Faburel dans cet entretien pour reporterre – et l’industrialisation – qui surconsomme les ressources naturelles, détruit les terres, pollue les océans et l’air … – sont absentes. La mondialisation, qui favorise les pandémies, rend dépendant de territoires lointains et permet aux multinationales d’exploiter des humains et le vivant à plus grande échelle pour l’optimisation de leurs profits, n’est pas non plus remise en cause. Pourtant, sur le plan écologique, mettre en relation des régions écologiquement très différentes crée de nombreux problèmes, comme décrypté dans cet article.

Conclusion

Pour résumer, trois grands problèmes ressortent de cette tribune : la focalisation sur le climat et les émissions de gaz à effet de serre en excluant les destructions d’écosystèmes, l’objectif de “neutralité carbone” souvent utilisé par le greenwashing, et la stratégie, à tendance réformiste avec le manque d’expression d’une vraie conflictualité, en plus de l’absence d’une critique radicale sur la civilisation, l’industrialisation et la mondialisation. Cependant, il faut tout de même souligner des points positifs et intéressants comme le passage “Arrêtons de nous attendre les uns les autres de peur de se marginaliser en étant les premiers. Devenons cette minorité motrice “, qui montre la volonté de ne pas attendre une illusoire “masse critique” avant d’agir, le passage “le miracle technologique ne nous sauvera pas”, et plusieurs passages prenant en compte le vivant et la justice sociale, malgré des dissonances dues à la focalisation sur le climat et les injonctions tendant vers le classisme.

Nous espérons que cette critique qui se veut constructive nourrira les réflexions, car il reste encore trop de problèmes dans ce type de discours “mainstream”, malgré tout de même des évolutions pertinentes à souligner. Pour aller plus loin, le livre Ne plus se mentir de Jean-Marc Gancille est une très bonne passerelle vers plus de radicalité, puis les livres des éditions libres comme les deux volumes Ecologie en résistance, voire ensuite les deux tomes de Deep Green Resistance.

Un collectif socioécologiste anonyme

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