Renouer un lien sacré avec la nature : leçons des peuples autochtones

by | Jan 18, 2021 | Inspirations | 0 comments

Cette article fait partie d’une série (sans ordre particulier) :
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Renouer un lien sacré avec la nature : leçons des peuples autochtones

Les mouvements écologistes européens avons beaucoup à apprendre des luttes des peuples autochtones pour la protection de leurs territoires. Ces militant.es qui réussissent à faire reculer les projets de l’Etat et des entreprises extractives, et qui mènent tous les jours une lutte et une résistance à la volonté destructrice de ce système colonial. Comment organisent-ils ces fronts de bataille ? Quelles sont leurs stratégies et leurs façons de concevoir la lutte ? Comment pouvons-nous nous en inspirer pour défendre nos territoires et protéger le vivant ?

Un premier constat est clair : nous n’avons pas la même perception du monde qui nous entoure. En Europe, nous vivons déconnecté.es du vivant et de la nature, à tel point que nous perdons les repères de notre lutte pour protéger le vivant.

“Nous habitons le territoire et le territoire nous habite” – Moira Millán.

Pour les mouvements écologistes en Europe, la conception de la nature est centrée sur l’utilité qu’elle rapporte à la société. Quand nous parlons de changement climatique, de services écosystémiques, de réduction des déchets dans l’océan, le premier sens de ces actions est d’assurer une meilleure qualité de vie aux humains et aux “futures générations”. Or la perspective du monde qui nous entoure, aussi nommée “cosmovisión” par les peuples autochtones de la cordillère des Andes, ne différencie pas les humains du reste de la nature.

Pour les peuples indigènes, le territoire est sacré, non comme simple lieu à habiter, mais parce qu’il existe une puissante connexion entre tous les êtres vivants et un lien avec la terre, qui relève du spirituel. Le territoire est le croisement entre les écosystèmes visibles et spirituels, entre les humains et les autres espèces, et c’est cet ensemble interconnecté qu’il faut défendre et protéger. “Nous habitons le territoire et le territoire nous habite explique Moira Millán, fondatrice du Mouvement des Femmes Indigènes pour le Buen Vivir.

La lutte naît d’un lien sacré à la nature, avant même d’être une lutte politique

La culture occidentale a toujours utilisé la spiritualité, et notamment les religions, comme un outil d’expansion territoriale de la puissance de l’Etat. Comme un moyen de destruction des peuples non-européens, pour le renforcement d’un système économique capitaliste. Russell Means, militant du peuple autochtone Lakota d’Amérique du Nord, rappelle dans son discours lors du Rassemblement pour la survie des collines noires que la tradition matérialiste européenne de déspiritualisation de l’Univers a conduit à une vision utilitariste du monde : “Leurs philosophes ont tellement déspiritualisé le réel qu’ils ne retirent aucune satisfaction en contemplant simplement la beauté d’une montagne (…). Non, la satisfaction se mesure en termes de gain matériel — la montagne devient du gravier.” Ce processus a permis d’amener à considérer vertueux de détruire la planète, au nom du “progrès” ou de la “croissance”, sans ressentir aucune perte.

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C’est pourquoi la lutte des peuples autochtones commence par une récupération des territoires et un renouement avec une spiritualité rejetée par le système colonial occidental. Moira Millán, militante mapuche, affirme : “Nous pensons que l’organisation de la lutte est d’abord d’ordre spirituel avant d’être politique. Nous en sommes convaincues et d’ailleurs nous voyons que nos communautés et nos villages se remplissent d’Eglises évangéliques et de toutes les sectes imaginables. Nous voyons que l’ennemi sait aussi que la lutte est d’abord spirituelle.”

Le rationalisme qui a brandi la science comme l’arme ultime qui justifie l’exploitation des ressources et des humains est une idéologie directement héritée du colonialisme. Le “développement” et le “progrès” se sont immiscés là où la religion ne suffisait plus à expliquer la domination des occidentaux sur le reste du monde. Par ailleurs, les religions évangélistes qui prolifèrent dans les régions les plus pauvres et rurales d’Amérique latine pratiquent ce que Moira appelle “l’extractivisme spirituel des Églises”. Elles inculquent une idéologie impérialiste en vendant aux plus pauvres des périphéries le rêve capitaliste qui les éloigne de leurs réalités.

Luttes écologistes occidentales : renouer un lien sacré avec le vivant pour mieux le défendre

Les mouvements écologistes tentent d’intégrer la prise en compte de la nature dans les politiques publiques. Utiliser le même vocabulaire que les gestionnaires et lobbyistes leur donnerait davantage de légitimité à défendre la nature et leur permettrait d’exercer une influence sur les décideurs. Mais arrivent-ils vraiment à représenter la nature ?

Absolument pas, si nous prenons l’exemple de la question du changement climatique.

Aujourd’hui la prise en compte des enjeux climatiques par la société a réussi à imprégner toutes les structures du monde marchand. De tous les côtés des “stratégies climat” émergent, des émissions de CO2 sont calculées, évitées, réduites, échangées, compensées. Comme une formule magique, le bilan carbone devient l’outil mathématique garant du respect de l’environnement.

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Les tractations climatiques vont tellement loin, que nous pouvons désormais vendre et acheter des droits à polluer partout sur la Planète, et effacer ses émissions par une formidable machination de “compensation” des émissions, souvent opérée par la reforestation. Etant donné que les arbres ont la capacité d’absorber du CO2, ils deviennent une solution verte pratique pour inverser les conséquences de nos pollutions. Concrètement, cette logique va tellement loin, qu’une quantité d’émissions de carbone générée par l’exploitation de la nature pourrait être contre-balancée par une action de plantation massive d’arbres nommée “reforestation”. Cette manœuvre s’est insérée jusque dans notre quotidien, puisque nous pouvons désormais planter des arbres pour compenser la pollution numérique ou les vols en avion que nous continuons à prendre.

Nous nous sommes perdus en croyant à l’intégration de la nature dans un système qui repose sur son exploitation, et sur l’exploitation des personnes, car les entreprises qui vont massivement reboiser, s’en prennent aux territoires habités par des communautés autochtones. Ces communautés se retrouvent expulsées des territoires et criminalisées lorsqu’elles utilisent des ressources de la forêt pour vivre. 1https://www.amisdelaterre.org/nomination-de-pur-projet-aux-prix-pinocchio-2014/

 Nous parions sur la capacité de l’humain à reconstituer une nature qu’il ne connaît pas, pour compenser toute la destruction qu’il n’empêche pas. Mais un ensemble d’arbres n’est pas une forêt, une forêt native ne pourra jamais être substituée, de la même façon qu’un cours d’eau artificiel n’est pas une rivière. Et les peuples autochtones se battent constamment pour défendre et protéger ce monde si beau qui paraît ne plus nous émerveiller.

Humbold Redwoods State Park (Californie, Etats-Unis) crédits photo Fabian

“Entourée de ces gigantesques colosses (des séquoias millénaires), je sentais que la pellicule qui recouvrait mes sens et qui résultait du déséquilibre de nos rythmes de vie effrénés, aliénés par la technologie, était en train de fondre. Je sentais tout mon être revenir à la vie dans cette cathédrale grandiose. Je m’assis et pleurai longtemps. Puis mes larmes se changèrent en joie, la joie se mua en béatitutde et je ris devant tant de beauté” – Julia Hill, De sève et de sang, le combat d’une femme pour sauver une forêt de séquoia.

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Eva Laure

Eva Laure

Auteur

Militante féministe et écologiste
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