Lorsque moi-même ou d’autres militants avons l’audace de critiquer telle ou telle énergie “verte”, nous rencontrons des commentaires insurgés : on critique, on critique, mais quelle est notre solution ? Nous ne voudrions pas retourner à l’âge de pierre tout de même ?! Nous voulons un monde sans électricité ?
La chose est un peu plus complexe, et les questions que nous nous posons sont légèrement différentes.
Réduire les émissions de CO2
Les énergies « vertes » se développent avec les bonnes grâces des écologistes. De fait, il indéniables que celles-ci polluent moins que les énergies fossiles traditionnelles. Le solaire par exemple émet environ 50 gCO2eq/kWh, le nucléaire autour de 60-100 gCO2eq/kWh, alors que le charbon émet autours de 1000 gCO2eq/kWh et le gaz environ 500 gCO2eq/kWh.1 Les données concernant le nucléaire proviennent de : Valuing the greenhouse gas emissions from nuclear power: A critical survey https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421508001997. Les autres données proviennent du rapport du GIEC datant de 2014 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf
On pourrait se satisfaire d’une telle réponse. Circulez, y’a rien à voir. Ce serait pourtant omettre les nombreux dégâts inhérents à ces énergies.
Analyser la vue d’ensemble
Premièrement, elles émettent malgré tout du CO2. Lorsque nous prenons en compte leur construction, leur transport sur site, leur entretien, puis leur fin de vie, les énergies “vertes” ne sont plus si “vertes”. Marron tout au plus. C’est assez évident : selon vous, comment est transporté un panneau solaire depuis la Chine, où il est construit, vers son lieu d’utilisation ? Comment sont extraits les 1200 tonnes de béton et les 350 tonnes d’acier qui composent une éolienne ? Toutes ces actions et toutes ces machines tournent bien au pétrole. Les panneaux solaires émettent moins de CO2 que le charbon, belle affaire! Tout ce que j’apprends ici, c’est que le charbon pollue énormément, cela ne me dit rien de l’acceptabilité du panneau solaire.
Deuxièmement, les énergies “vertes” ne se substituent pas aux énergies sales mais s’y rajoutent, si bien qu’aucun plan de transition énergétique n’a jamais réduit la consommation de charbon ou de gaz. Nous émettions moins de CO2 en 1965, alors qu’aucun projet d’éolien, aucune centrale nucléaire , aucun panneau photovoltaïque n’avait été construit.
Ces technologies émettent moins de CO2 que le pétrole ou le gaz, c’est exact. Mais cela importe peu : c’est la quantité absolue de CO2 émise qui détruit le climat, pas celle relative aux énergies fossiles.
Autres problèmes des énergies “vertes”
Nous avons concentré notre argumentaire sur les émissions de CO2, car c’est le cadrage choisi par les défenseurs de « solutions climatiques ». Même selon cet angle, elles ne sont pas la panacée. Cependant, cette approche concentrée sur les émissions de CO2 ne devrait pas nous faire omettre un point : le réchauffement climatique n’est pas le seul problème écologique posé par notre civilisation. En effet, parmi les principaux facteurs de chute de la biodiversité, on compte en première position la déforestation, l’agriculture industrielle et l’artificialisation des sols.
Le portrait des énergies « décarbonnées » s’assombrit sous ce prisme : entre les surfaces immenses couvertes par les centrales photovoltaïques, les mines polluantes et meurtrières2Sur les causes de mortalité engendré par le minage de l’uranium, voir https://www.cdc.gov/niosh/pgms/worknotify/uranium.html nécessaires pour l’uranium du nucléaire, l’acier des éoliennes, ou les métaux rares des panneaux solaires, on peine à voir en quoi ces solutions sont écologiques. De fait, elles participent à l’artificialisation des sols : mines pour extraire les matériaux, routes pour les acheminer, mais aussi tout simplement l’espace occupé au sol par les centrales elles même. Elles sont également polluantes : pendant leur construction, bien entenu, mais en plus on ne sait pas (bien) recycler un panneau solaire ou une éolienne, sans parler du décommissionnement d’une centrale nucléaire, qui encore aujourd’hui est plus ou moins impossible.
On commence à percevoir le problème qu’un écologiste pourrait avoir avec les énergies “vertes”, n’est ce pas ? Mais en réalité, tout ce que nous avons vu n’est que superficiel, car le principal problème d’une énergie est son utilisation.
Le problème de l’énergie : son utilisation
Pour avoir une véritable analyse de la totalité du cycle de vie, il importe de se demander à quoi servira cette énergie « verte », et c’est vraiment à ce niveau que le bas blesse. L’énergie sert à alimenter l’économie mondiale, à maintenir en route la production, bref : fabriquer, transporter, détruire. En masse. Que l’énergie utilisée provienne du pétrole, du nucléaire ou du solaire importe peu, le résultat est une destruction massive du vivant.
Car c’est bien là que nous arrivons l’essence du problème (sans mauvais jeu de mot) : non seulement nous consommons de l’énergie sale, mais en plus nous consommons beaucoup trop d’énergie, et ce, afin de détruire le vivant. La déforestation ne dépend pas du pétrole, la pêche industrielle ne dépend pas du pétrole, l’agriculture industrielle ne dépend pas du pétrole. Tout cela dépend de n’importe quelle énergie, pourvu qu’elle soit produite en suffisamment grande quantité.
Imaginons que réussissions à inventer une énergie infinie et parfaitement propre (ce qui n’est certainement pas le cas aujourd’hui), nous nous serions malgré tout au cœur de la plus grosse crise écologique depuis 65 millions d’année : la 6e extinction de masse. Celle-ci est nullement engendrée par le CO2 dans l’atmosphère, dont nous commençons seulement à percevoir les conséquence, mais par le reste de l’activité humaine. Cette activité humaine, destructrice à grande échelle, est rendue possible par l’abondance d’énergie. Les panneaux solaires ne sont pas une part de la solution, mais une part du problème.
Réduire son impact écologique
Selon moi, les « solutions » que constituent les énergies renouvelables ou le nucléaire proviennent d’une question qui est mal posée. L’écologiste mainstream se demande : « Comment conserver mon confort matériel actuel tout en réduisant mon impact écologique ? ». À cela, la réponse, technique, est à trouver dans les énergies renouvelables ou le nucléaire.
Cependant, la seule question qui vaille le coup est : « qu’est-ce qui est nécessaire pour que la planète Terre reste vivable ? » La réponse est simple : ne pas émettre de CO2, arrêter la destruction du vivant.
Le nucléaire comme les énergies renouvelables ne remplissent pas ces conditions. Elles consomment des énergies fossiles, émettent du CO2, et l’utilisation de l’énergie produite participe massivement à la destruction du vivant. Cela va donc à l’encontre des objectifs de base de l’écologie.
Quelle est «la solution » ?
Avec cet argumentaire, nous avons critiqué littéralement toute production massive d’énergie. A ce stade, bien des écologistes se trouvent désemparés : Quelle est la SOLUTION que nous proposons ?
Cette réaction est symptomatique d’une pensée technicienne : tout problème a une solution, cette solution est technique bien entendu. Or c’est précisément cette pensée qui mène à la destruction du naturel : celle qui fait de toute situation un problème technique et de tout un outil ou une matière première.
Mais si le problème n’était pas la production d’énergie, mais notre relation au vivant ? Si le problème était notre société, notre modèle économique, notre modèle de production ? Si ce ne sont pas des problèmes techniques, alors nous n’avons plus besoin de réponses techniques. La « solution » sort des bureaux d’ingénieur pour rejoindre la place publique. La « solution » est un changement radical et rapide de notre société (sur le comment de ce changement, nous en parlons ailleurs).
“Comment sauver internet ?”
Il y a tout de même des problèmes technologiques, me diriez-vous. Nous ne voulons tout de même pas retourner à l’âge de pierre ! Vous imaginez un monde sans internet ou sans électricité ?
Quel manque d’imagination ! Je conçois en tout cas plus facilement un monde sans électricité, qu’un monde sans insectes et sans poissons.
Encore une fois, la question écologiste ne se situe pas sur le fait de savoir « comment maintenir internet ? », ou « comment avoir de l’électricité ? » : voilà de quoi inquiéter le PDG d’EDF ou de Free.
Mes seules préoccupations sont de savoir « comment maintenir une planète vivable ? Comment arrêter la plus grosse tuerie d’animaux et de végétaux jamais organisé ?». Toutes les autres questions sont subsidiaires. Une fois notre société effondrée, nous aurons tout le temps de voir si nous pouvons encore avoir internet ou si nous réussissons à fabriquer une éolienne réellement « verte » •