Les écogestes ou la Loi : les impasses de l’écologie

by | Aug 3, 2022 | Fausses solutions

On oppose traditionnellement deux visions de l’écologie.

La première tente de culpabiliser les individus, en espérant que la somme des changements des comportements individuels suffira à opérer un changement drastique de société.

La seconde défend que seule une démarche de contrôle et d’interdiction imposée par un État fort permettrait d’obtenir ce changement. 1J’omets ici volontairement l’approche qui pousse des solutions techniques pour répondre aux enjeux sociétaux. C’est un sujet abordé dans l’article suivant

La première approche est inefficace tandis que la seconde est dangereuse. Les deux approches sont basées sur une vision limitée de la manière dont s’opèrent les changements sociétaux.

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La première idéologie écologiste, individualiste, considère les problématiques écologiques comme des problématiques individuelles : on nous explique comme il faut économiser de l’eau, trier les déchets, consommer bio ou écoresponsable. On considère que si rien ne change, c’est en fait à cause du manque de prise de conscience. On sensibilise donc.
Pourtant, deux constats devraient décourager cette approche :

  • ce ne sont pas les pays les plus “écoconscients” qui émettent le moins de CO2, ce sont les pays les plus pauvres 2Voici une carte du monde résumant la situation .En analysant ce genre de statistique, il faut faire attention à la part de CO2 importé : en France par exemple, nous avons diminué la part de CO2 émise, mais augmenté la part importée, cela résulte en un statu quo.
  • ni les 3 décennies de propagande écologiste ni l’omniprésence récente de la thématique dans les discours n’ont empêché une augmentation constante des émissions de CO2. Seules deux années ont enregistré une baisse d’émissions par rapport aux années précédentes : la crise économique de 2009 et la covid ont obtenu de meilleurs résultats que toutes les sensibilisations.

Les choix individuels pèsent finalement peu par rapport à ceux des industries, des États et les incitations du système économique et politique en place.

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La seconde idéologie écologiste défend donc que si ce n’est pas une problématique individuelle, ça doit être une problématique collective, donc celle du législateur. L’État devrait contrôler, légiférer, surveiller! Les politiques devraient se saisir du problème !

Cela part d’une première hypothèse : les États, et les décideurs à leur tête, auraient la capacité d’imposer ce qu’ils souhaitent à la société. Dans les faits, pour se maintenir au pouvoir dans le temps, les décideurs politiques doivent composer avec les différents groupes de pression comme l’armée, les syndicats ou l’Église, l’influence des grandes entreprises (les « Uber files » montrent à quel point le lobbying est une pratique commune), mais aussi les différents groupes dans l’État lui-même 3Les énarques et autres administrateurs peuvent très bien limiter, voir anéantir, l’impact d’une mesure pourtant décidée par le gouvernement. Voici une étude sur le sujet . Ce premier point déjà amenuise l’idée de toute puissante : la tête de l’Etat est toute puissante tant que les personnes ou groupes en charge d’appliquer ses mesures sont consentants.

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L’éveil des masses : cette chimère écologiste

Deuxièmement, on explique ce que devraient faire les décideurs politiques, mais on n’explique jamais comment des personnes avec de telles intentions arriveraient à la tête de l’État. La caste politique est, dans les faits, très peu renouvelée : le groupe restreint des ministres et député est relativement stable, et les nouveaux entrants sont filtrés pour correspondre “au moule”. Structurellement, la professionnalisation des politiques fait que les décideurs politiques luttent avant tout pour des positions de pouvoir et des postes avant de lutter pour des idées. On explique donc mal comment de nouveaux entrants, ou encore moins des personnes en place, viendraient prendre des mesures à la fois radicales et impopulaires.

En plus de cela, la prise de pouvoir devrait durer. En effet, les mesures écologistes souvent proposées sont de l’ordre de la limitation et du contrôle : il faut limiter l’expansion de tel secteur alors qu’il pourrait exister, limiter l’utilisation de telle ressource alors même que la ressource est disponible. Non seulement, on suppose que des personnes bien intentionnées atteignent des positions de pouvoir, mais qu’elles y restent durablement ! Pourtant, nous avons constaté aux Etats-Unis que même une mesure vieille de 50 ans, comme la légalisation de l’IVG, peut être supprimée à l’occasion d’une vague conservatrice. 4Nous savons également qu’un même groupe restant durablement au pouvoir a de fortes chances d’être corrompu. Ce ne sont pas les exemples historiques qui manquent, et l’expérience de Stanford en a démontré les causes psychologiques.

Nous devrions donc imposer des changements structurels plutôt qu’individuels, sans briguer des positions de pouvoir inatteignables, et sans chercher à influencer en vain les décideurs déjà en place. Enfin, les changements devraient être durables sans nécessiter un contrôle dans la durée, ni des populations ni du pouvoir. Mission impossible ?

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Revenons très brièvement sur les causes de la catastrophe écologique en cours : extraction pétrolière, agriculture industrielle et intrants pétrochimiques, pêche industrielle, voitures individuelles et j’en passe.

Vous souvenez-vous du référendum demandant si oui ou non, nous souhaitions placer la voiture comme mode de transport omniprésent, ou si nous souhaitions exploiter le pétrole comme source d’énergie ?

Vous souvenez-vous du référendum demandant si oui ou non, nous souhaitions placer la voiture comme mode de transport omniprésent, ou si nous souhaitions exploiter le pétrole comme source d’énergie ? Qui se souvient de la fois où Intermarché a demandé aux populations ou aux États si elles étaient favorables à la pêche en grand fond avant de mettre en place sa flotte de 6 chalutiers ?

À lire ensuite:
2. Les fausses solutions.

Il s’agit là d’autant de coups de force « doux ». Ils ont entrainé des effets plus forts que la majorité des choix politiques et pourtant ils n’ont jamais été considérés comme des choix. Tous ces changements ont plusieurs aspects en commun :

  • Ils n’ont pas demandé d’approbation à priori au pouvoir politique, le politique s’est adapté a posteriori devant le fait accompli
  • Ils n’ont pas cherché à convaincre la population à priori ni à la contrôler a posteriori.
  • Ils ont changé le contexte dans lequel les décisions individuelles et collectives sont faites : nous sommes « libres » de ne pas utiliser la voiture, mais la voiture a changé le paysage de telle sorte qu’il n’est pas envisageable de s’en passer.

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Les militants écologistes doivent effectuer le même coup de force : effectuer de tels changements que le contexte dans lequel s’opèrent les choix « libres » évolue.

À nos yeux, l’action directe ciblée permet de changer le contexte sans nécessiter la prise de pouvoir. 5 les « solutions » technologiques à l’urgence écologique suivent le même argumentaire. La logique de ce dernier est tout aussi cohérente, sa seule limitation est la suivante : aucune innovation technique n’a jamais apporté une amélioration pour la nature. . Si nous arrivons à mettre à terre l’industrie pétrochimique via des actions ciblées, nous n’avons ni besoin de convaincre la population, ni d’appeler de nos souhaits un État fort mais bienveillant. La prise de pouvoir n’est pas nécessaire pour interdire l’utilisation de pétrole s’il n’y a simplement aucun pétrole à disposition. La promotion d’un « manger bio et local » n’est plus utile s’il est trop couteux ou impossible de maintenir sur pied une industrie pétrochimique.

L’autoritarisme des actes que nous défendons n’est pas supérieur à celui de l’ouverture d’un puits de pétrole ou de la mise à flot d’un chalutier : ils changent un état de fait, ils n’imposent pas ni ne contrôlent, ne nécessitent aucune prise de pouvoir dans la durée. Ils ne sont pas plus violents ni dictatoriaux.

Il reste la question de savoir si des actes de sabotage pourraient effectivement mener à un changement d’une même ampleur que ceux que l’avènement du pétrole ont entrainé. La proposition semble en effet ambitieuse, mais elle n’est pas dénuée de fondements : des actes de sabotages peuvent entrainer des effets domino et de propagation, mais cela est une autre question, et un autre article.

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Samuel

Samuel

Auteur

Militant écologiste, Samuel fait des conférences et interventions au sujet de la crise environnemental et des stratégies militantes.
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