Cet article fait partie de la série “Pour la fin des énergies fossiles”, composé des articles suivant :
1. Pourquoi il est vraiment urgent d’agir
2. Les fausses solutions.
3. Arrêter de perdre nos luttes : De la la guerre d’usure à l’échec en cascade
Habituellement, les gouvernements et entreprises promeuvent des solutions techniques à ce qu’ils considèrent comme un crise à résoudre. Ces solutions ne produisent aucune baisse effective de la consommation d’énergies fossiles.
Les écologistes, eux, considèrent que le problème est sociétal. Il faut donc convaincre. Convaincre les décideurs de changer leurs politiques, convaincre les individus de changer leur comportement. Ces stratégies ne produisent pas plus de changement d’ampleur, nous devons apprendre de nos erreurs.
Le paradoxe des technologies vertes
Les énergies renouvelables
À en croire les représentants politiques, la panacée serait à trouver dans les énergies renouvelables. L’Union européenne par exemple se fixe pour objectif d’obtenir 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2020.
Nous ne rentrerons pas dans le détail du pétrole consommé pour produire et installer ces énergies dites renouvelables, et du reste des problème qu’elles peuvent poser. Malgré cela, elles pourraient effectivement participer à une baisse des émissions de CO2… si elles remplaçaient réellement des énergies fossiles.
Malheureusement, la société industrielle ne réagit pas aux crises écologiques et climatiques comme un acteur rationnel, contrôlant ses décisions. Elle agit plutôt comme un drogué à l’énergie, qui en utilise le plus possible, indifféremment de son origine. Comme le montre Barry Saxifrage, « la règle est de continuer à développer simultanément les énergies renouvelables et les énergies fossiles » 1 https://www.nationalobserver.com/2017/09/20/analysis/fossil-fuel-expansion-crushes-renewables.
De 2009 à 2016, la consommation mondiale totale d’énergie a augmenté de 15 %. Les nouvelles énergies renouvelables ont répondu à moins de 30 % de cette croissance de la demande. Plus encore, si l’on ne considère pas les barrages hydroélectriques comme étant « renouvelables », puisqu’ils tuent les rivières et déplacent les êtres humains, alors les énergies sales couvrent plus de 80 % de la nouvelle demande. En d’autres termes, l’augmentation de la consommation d’énergie est couverte en grande majorité par des énergies fossiles.
Nous ne pouvons pas attendre que « suffisamment » d’énergies renouvelables soient disponibles pour la transition ; nous n’avons ni le temps, ni même la certitude que davantage d’énergies renouvelables réduiraient l’utilisation de combustibles fossiles.
L’efficacité énergétique
Comme pour les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique n’est une solution que si elle réduit réellement l’utilisation de combustibles fossiles. Bien entendu, un ménage aux besoins limités — par exemple l’éclairage d’une pièce chaque nuit — utiliserait moins d’électricité avec un éclairage DEL efficace. Mais la société de consommation a des besoins illimités. Cette même technologie d’éclairage efficace colonise les panneaux publicitaires et illumine des façades entières de bâtiments. Non seulement cet « effet rebond » annule les potentielles économies d’énergies, mais la pollution lumineuse monte en flèche 2 https://gizmodo.com/the-switch-to-outdoor-led-lighting-has-completely-backf-1820652615 .
C’est ainsi que, systématiquement, des conséquences inattendues annulent les effets des mesures d’efficacité énergétique 3https://thetyee.ca/Opinion/2018/02/26/Energy-Efficiency-Curse/. De fait, malgré toutes les technologies et astuces développées au cours du siècle dernier, la consommation mondiale d’énergie a augmenté de manière exponentielle. Après un tel historique, il devrait être évident maintenant que l’efficacité énergétique en soi ne mettra pas fin à notre utilisation d’énergies fossiles.
En fait, l’efficacité énergétique pourrait en fait amplifier leurs méfaits, comme l’illustre Richard York avec une simple expérience de pensée 4https://www.youtube.com/watch?v=XHWefRvG7Lo&t=4m13s : « Imaginez deux mondes. Dans l’un, les voitures parcourent 50 km par litre d’essence ; dans l’autre, elles utilisent 50 litres pour parcourir un seul kilomètre. Quel monde utilise plus d’énergie ? » Dans un monde aux véhicules très inefficaces, nous n’aurions aucune raison (et nous n’aurions pas les moyens) de construire des habitats éloignés des lieux de travail et des centres commerciaux, de penser des centres commerciaux eux-mêmes approvisionnés par des chaînes d’approvisionnement mondiales, le tout relié par des voitures, des routes et des autoroutes. Nous construirions plutôt des sociétés optimisées pour la marche et l’approvisionnement local. Paradoxalement, le monde des voitures efficaces engendre (comme nous le constatons aujourd’hui) un réseau tentaculaire de routes et de machines consommatrices d’énergie.
L’efficacité énergétique et les énergies renouvelables nous sont proposées comme autant de moyens d’éviter les changements sociétaux fondamentaux ; mais produire « plus » tout en utilisant absolument toute l’énergie disponible n’est pas une solution. Se fixer pour objectif « plus d’efficience énergétique » ou « plus d’énergies renouvelables » nous voue à l’échec. « Mettre fin à l’utilisation d’énergies fossiles » est le seul objectif qui ne peut être dévoyé ; l’efficacité énergétique ou les énergies renouvelables pourront alors jouer un rôle dans la transition.
Aucune solution technique n’existe pour soigner une société droguée à l’énergie. Si la solution n’est pas technique, alors les changements doivent être sociétaux. Nombreux sont les écologistes à s’en être rendu compte, ils demandent donc aux personnalités politiques de faire ce qu’ils pensent être leur travail : changer la société.
Que les décideurs décident!
Après des décennies d’avertissements scientifiques sur les dangers du dérèglement climatique 5 https://history.aip.org/history/climate/timeline.htm, les gouvernements ont excellé dans la création d’organismes aux noms officiels, la tenue de réunions, l’encouragement pour davantage de recherches et l’annonce fière d’accords symboliques. Ils ont seulement omis une chose, la seule chose qui compte réellement : ils n’ont pas réduit les émissions de CO2.
Les gouvernements ont ignoré le principe de précaution pendant que les scientifiques discutaient l’ampleur du problème climatique. Une fois qu’un consensus fut établi, et la catastrophe imminente révélée, ils n’ont pas plus pris de mesures concrètes.
Le « succès » le plus récent à ce titre est l’Accord de Paris de 2015. Il n’impose aucune contrainte, il propose des réductions d’émissions de CO2 hypothétiques, et ce dans un avenir lointain. En réalité, comme dans le cadre de l’accord de Copenhague, les gouvernements n’ont aucun mandat légal pour prendre des mesures de fond. Pendant ce temps, les marchés investissent leur argent, et permettent une expansion mondiale de 30 % de la production d’énergie à partir du charbon 6https://endcoal.org/global-coal-plant-tracker/. L’investisseur intelligent ne croit pas à une fin de l’ère du charbon. Et les gouvernements ne l’imposeront pas.
Cela ne devrait pas nous surprendre. Nous savons tous que les gouvernements s’occupent mieux des entreprises que des personnes. Les énergies fossiles alimentent le cœur palpitant de l’économie industrielle. Il faudrait être fou, après tout ce temps, pour croire que les politiciens décideraient soudainement d’acter ce qui est pourtant nécessaire : arrêter l’économie industrielle et mettre une fin à la croissance.
Vers une prise de conscience généralisée ?
Le mouvement écologiste, dans l’espoir de susciter l’adoption massive d’un mode de vie sain et durable, a tout mis en œuvre pour convaincre les individus de changer leurs valeurs et leur style de vie. Bien que certaines personnes aient répondu aux appels au changement, elles restent une infime minorité.
Rationnellement, nous savons que c’est une erreur de brûler le carbone séquestré pendant des millions d’années. Cependant, les individus et les communautés, qu’ils soient des humains, des forêts ou des prairies, utilisent toute l’énergie et la nourriture à disposition à moins de rencontrer une opposition. Les combustibles fossiles forment des réserves d’énergie incroyablement denses, notre dépendance totale à cette ressource ne devrait pas surprendre. Bien que quelques personnes choisissent de renoncer à l’énergie facile, la plupart brûlent et brûleront tout le pétrole restant avec joie, autant qu’elles le pourront, aussi longtemps qu’elles le pourront. Toutes les analyses de la situation mondiale sont dans le rouge. Des décennies de lutte environnementaliste n’ont même pas ralenti la croissance de la consommation, de l’extraction minière, des déchets et de la concentration de CO2 dans l’atmosphère ; tout augmente sans cesse.
Il n’y a aucune preuve d’un changement de conscience massif, et avec le monde en jeu, nous ne pouvons pas nous permettre de prétendre le contraire. La seule raison pour laquelle la société industrielle arrêterait de brûler des énergies fossiles serait qu’elle n’arrive plus à s’en procurer.
La fin du pétrole arrivera … trop tard.
Certains soulignent la vacuité de toute action militante : puisque le pétrole est une ressource limitée, la société dépendante s’effondrera d’elle-même lorsque la fin des stocks arrivera.
La prémisse est valide. Nous pouvons sans difficulté admettre que le rythme d’extraction sans cesse croissant de pétrole, de gaz naturel et de charbon, dont dépend notre croissance économique n’est pas durable. Puisque notre croissance économique dépend des énergies, quand le pic pétrolier nous obligera à réduire notre consommation d’énergie, nous assisterons à une nouvelle crise financière mondiale. Cette crise, a fortiori de grande ampleur et permanente, engendrera une diminution de la consommation de combustibles fossiles.
Alors, inutile d’agir ? La fin des stocks de pétrole finira bien par limiter la consommation de combustibles fossiles et entrainera de ce fait l’effondrement de l’activité industrielle. Mais nous ne savons pas combien de temps ce système peut encore perdurer. Nous ne connaissons pas avec précision les stocks disponibles. La société industrielle pourrait encore persister quelques années à ce rythme effréné. Chaque jour supplémentaire où nous brûlons du pétrole déstabilise un peu plus le climat au risque de le rendre hostile à toute vie sur terre, chaque jour supplémentaire tue plus de 16 000 humains ; chaque jour supplémentaire entraine la disparition d’espèces additionnelles.
Nous pouvons accélérer la fin de cette société addict au pétrole. Cela devrait être l’objectif de toute action écologiste ayant pour volonté d’être efficace•
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